Les projets de réformes de l’UA menacent l’indépendance et la survie de la Commission africaine

JONATHAN ERNST / POOL / AFP

Alors que se clôt la 75e session ordinaire publique de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, le recul de la démocratie, de l’État de droit, du respect des droits humains et de l’indépendance de la Commission africaine suscitent des inquiétudes de plus en plus vives.

Paris, Nairobi, 30 mai 2023. Du 3 au 23 mai 2023, la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH), aux côtés de ses organisations membres : l’African Centre for Justice and peace Studies (ACJPS) au Soudan, la Foundation for Human Rights Initiative (FHRI) en Ouganda, la Rencontre Africaine pour la Défense des Droits de l’homme (RADDHO) et la Ligue Sénégalaise des Droits Humains (LSDH) au Sénégal, ainsi que d’autres organisations non gouvernementales, ont participé à la 75e session ordinaire de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP), qui s’est tenue à Banjul en Gambie, à la fois en présentiel et à distance. En amont de la session ordinaire, la FIDH a participé à la pré-session de l’ONG organisée par l’African Centre for Democracy and Human Rights Studies (ACDHRS).

La CADHP 75 a été programmée à une période où les conflits armés, le recul de la démocratie, la réduction de l’espace dédié à la participation et à l’expression citoyennes ont atteint un niveau sans précédent en Afrique. La FIDH et ses organisations membres ont contribué à apporter un éclairage sur la situation actuelle dans les pays en guerre et les pays confrontés à des atteintes préoccupantes aux droits humains. La CADHP s’est penchée plus particulièrement sur le conflit armé qui sévit actuellement au Soudan depuis le 15 avril 2023 et qui a engendré une crise humanitaire catastrophique. Dans son dernier communiqué publié le 23 avril, la Commission a indiqué qu’elle avait adopté deux résolutions sur la situation des droits humains au Soudan et en Eswatini.

« La FIDH soutient l’appel adressé par la société civile à l’Union africaine afin que cette dernière prenne des mesures fermes visant à résoudre les conflits qui font rage sur le continent africain. Nous devons avoir recours à tous les leviers disponibles pour mettre fin au conflit au Soudan, et pour garantir l’ouverture de couloirs humanitaires sécuritaires pour les personnes civiles, tout en renforçant la nécessité pour le pays d’un retour à un régime démocratique civil », déclare Alice Mogwe, présidente de la FIDH.

On peut déplorer par ailleurs que la Commission africaine ait également adopté une résolution mettant fin au mandat de sa commission d’enquête dans la région du Tigré en République démocratique fédérale d’Éthiopie. Cette décision survient au moment où le gouvernement éthiopien refuse d’engager toute forme de responsabilité ou de justice concernant les graves crimes et violations des droits humains commis dans la région du Tigré pendant le conflit armé.

De plus, la survie de la Commission africaine est également menacée à la suite du processus de réformes engagé par l’Union africaine destiné à supprimer son mandat de protection. Cette mesure empêcherait dans les faits les citoyens et les citoyennes du continent africain de porter plainte auprès de la Commission pour violation des droits humains, quand les États se montrent incapables de leur proposer des voies de recours. La Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (CAfDHP) qui est proposée comme alternative au mandat de protection de la CADHP n’est saisissable que par les ressortissant·es de six pays africains. Selon le protocole portant création de la CAfDHP, seules sont autorisées à saisir la Cour, les ONG et personnes ressortissantes des États en ayant expressément demandé l’autorisation via le dépôt d’une déclaration en vertu de l’alinéa 6 de l’article 34. À ce jour, seuls six pays ont signé cette déclaration. Entre 2016 et 2020, quatre États ont retiré leurs déclarations. La mise en place de ce processus de réformes majeur a été confiée à la société Deloitte par l’Union africaine.

Chaque citoyen et citoyenne du continent africain devraient pouvoir demander réparation auprès de la Commission africaine sans entrave, là où les mécanismes nationaux échouent. Renvoyer les possibilités de recours devant la Cour africaine, qui ne peut être saisie que dans des cas restreints, constitue un retour en arrière inacceptable si l’on considère les progrès considérables qui ont été accomplis pour faciliter l’accès à la justice en Afrique.

« La FIDH et ses organisations membres continueront à plaider pour faire progresser le respect de l’État de droit et les normes relatives aux droits humains garantis par la Charte africaine et les autres instruments. Nous poursuivrons la lutte en faveur de l’indépendance et de l’efficacité de la Commission africaine dans les prochains mois, en soutien aux Africains et aux Africaines qui refusent de baisser les bras face à la restriction des voies de recours mises à leur disposition pour obtenir réparation en cas de violations des droits humains », a déclaré Mabassa Fall, représentant de la FIDH à l’Union africaine.

Les réformes auront également une incidence sur l’indépendance de la Commission, étant donné qu’elles prévoient de faire passer le nombre de ses commissaires de onze à cinq et de regrouper les secrétariats de l’ensemble des organes conventionnels au sein du système africain de protection des droits humains. Par ailleurs, un nouveau processus d’accréditation permettant aux organisations de la société civile de solliciter le système africain de protection des droits humains, a été proposé. Cependant, il y a des chances que ses modalités ne prévoient que des recours limités aux organes de l’Union africaine.

Dans les prochains mois, la FIDH s’efforcera de faire entendre la voix des Africains et des Africaines qui dénoncent les tentatives de paralysie de la Commission africaine.

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