Justice en péril : les États parties au Statut de la CPI cèdent face à la pression politique

L’Assemblée des États parties (AEP) au Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI) a clôturé aujourd’hui sa 12e session annuelle. La FIDH et la KHRC s’inquiètent des modifications que les Etats parties ont apportées au Règlement de procédure et de preuves de la CPI. Ces modifications autorisent des fonctionnaires de haut rang accusés de crimes internationaux à être absents lors de leur procès devant la CPI, et permettent leur participation au procès par l’utilisation de la vidéo. Les États ont cédé face à la pression politique, mettant ainsi en péril l’intégrité du Statut de Rome, et faisant ainsi abstraction des intérêts et des préoccupations des victimes.

« De telles décisions politiques compromettent l’indépendance de la Cour et mettent le pouvoir judiciaire dans une position délicate, pouvant l’obliger à ne pas appliquer une règle incompatible avec le Statut de Rome » , a dit Paulina Vega, Vice-Présidente de la FIDH, à la tête de la délégation de la FIDH à cette AEP. « Il est regrettable de constater que les États parties ont favorisé un compromis politique au détriment des intérêts et des droits des victimes, auxquels ils avaient pourtant réaffirmé leur soutien peu avant, pendant la session spéciale du débat en plénière dédiée aux victimes » , a-t-elle ajouté.

La FIDH, ainsi que d’autres organisations de la société civile, ont partagé avec les délégations des Etats parties les vues des victimes. Comme l’ont affirmé les représentants légaux des victimes et les ONG locales, les victimes et les communautés affectées préfèrent ne pas avoir de procès plutôt que de les voir se dérouler au sein d’une Cour compromise.

« Le gouvernement kenyan, au travers de l’Union africaine, semble avoir exercé une forte pression sur les États parties, en particulier concernant l’absence des chefs d’État et de gouvernement à leur procès. En cédant à la pression diplomatique du Kenya, les États parties sont allés au conflit avec la Cour, en particulier en adoptant les amendements à la règle 134 qui entraînent la Cour sur le terrain de considérations politiques, puisqu’ils la forcent à envisager de prendre des décisions contraires à l’article 27 du Statut de Rome. Pour résumer, l’Assemblée des États parties a remplacé la règle de droit par la règle de la politique. Il est triste de noter que les intérêts des victimes, qui n’ont pas le même poids diplomatique et politique que le Président ou le Vice-Président kenyans et dont la voix n’a été portée avec énergie que par la société civile au sein de cette Assemblée, ont été sacrifiés sur l’autel de l’opportunisme politique » , a dit George Morara, Responsable de programme, KHRC.

« Les États parties auraient dû prêter attention aux préoccupations de la CPI et de la société civile au sein de leurs discussions. En effet, même si les droits de la défense doivent être respectés, il existe d’autres droits avec lesquels ils doivent s’équilibrer, tels que les droits des victimes » , a déclaré Patrick Baudouin, Président d’Honneur de la FIDH.

« La FIDH et ses organisations membres resteront fortement mobilisées contre les tentatives des États de nuire à l’intégrité du Statut de Rome et des juges de la CPI » , a déclaré Karim Lahidji, Président de la FIDH.

Les États ont décidé d’amender les règles procédurales de la CPI sous la pression politique du Kenya et d’autres États africains. Ils ont ouvert la possibilité, selon la règle 134 du Règlement de procédure et des preuves, pour les fonctionnaires de haut rang, qui « exercent des fonctions publiques au plus haut niveau national », d’être absents de la salle d’audience pendant leur procès à La Haye. Ceci est en contradiction avec le principe d’égalité devant la loi et avec l’esprit du Statut de Rome, qui envoie un message fort pour l’établissement des responsabilités des présumés auteurs de crimes internationaux, et ce sans égard à leur qualité officielle, comme le précise l’article 27 du Statut.

Le Statut de Rome requiert des accusés d’être présents pendant leur procès et ne permet pas de traitement de faveur pour quelconque accusé. Cependant, les amendements adoptés pendant l’Assemblée semblent transformer les exceptions en règle dans le but de répondre à une situation politique créée par l’élection, début mars 2013, de deux accusés, M. Kenyatta et M. Ruto, à la présidence et vice-présidence du Kenya.

Alors que les diplomates essayaient d’arriver à un compromis, la Chambre de première instance de la CPI a décidé le 26 novembre 2013 que le Président kenyan, Uhuru Kenyatta, ne pourrait être absent à son procès que dans des circonstances exceptionnelles, et que cette autorisation d’absence ne deviendrait pas une règle. De plus, les juges ont souligné que toute absence du défendeur devrait être limitée au strict nécessaire.

Les États parties ont aussi décidé d’adopter une règle selon laquelle un accusé peut participer à son procès à l’aide de moyens techniques de communication, dont la vidéo, affirmant que cela représenterait une forme de présence. Cependant, la FIDH et KHRC estiment que la participation par vidéo ne constitue pas une présence, conformément au Statut, et devrait n’être autorisée que dans des circonstances exceptionnelles, en prenant en compte le point de vue de toutes les parties et participants au procès.

Paradoxalement, pendant cette Assemblée, les États parties ont dédié une session spéciale du débat en plénière à l’importance des droits des victimes et à la valeur de leur participation dans les procédures et dans l’exercice du mandat de la CPI.

Les États ont également approuvé un budget, qui, bien qu’inférieur à celui réclamé par la Cour, reflète certains efforts des États pour fournir à la Cour plus de ressources afin de gérer une charge de travail croissante. Nous appellons la Cour à prendre en considération, dans la mise en œuvre du budget pour l’année 2014, les droits des victimes à une participation, représentation légale et réparation effective et efficace.

Pour plus détails, lire les préoccupations et recommandations de la FIDH à l’ouverture de la 12ème session de l’AEP.

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