Conclusions préliminaires : Mission d’enquête de la FIDH au Nigeria

Du 29 août au 6 septembre 2002, la FIDH, en partenariat avec Civil Liberties Organisation (CLO), son organisation membre au Nigeria, a mené une mission d’enquête au Nigeria avec pour mandat d’examiner les conséquences de l’application de la loi de la Sharia en matière pénale dans certains Etats du Nord du pays et d’analyser l’état d’avancement de l’intégration en droit interne du Statut de la Cour pénale internationale (CPI).

La mission, composée de Silvija Panovic Duric (Yougoslavie), Magdi El Naim (Soudan) et Maina Kiai (Kenya), s’est rendue à Lagos, dans les Etats de Kaduna et Zamfara et dans le territoire de la capitale fédérale d’Abuja. Les chargés de missions ont rencontré des membres du gouvernement fédéral et des gouvernement locaux, des ONG ainsi que des représentants d’organisations de la société civile nigériane.

Les recommandations et analyses préliminaires des chargés de mission, qui seront détaillées dans un rapport à venir, sont les suivantes :

Sur l’application de la Sharia :

1. L’application de la Sharia (droit musulman) n’est pas un fait nouveau au Nigeria mais remonte dans le domaine du statut personnel à la fin des années 50. Depuis l’année 2000, dans certains Etats du Nord, l’application de la Sharia en matière pénale a légitimement engendré une grande émotion dans la société civile nigériane. Les discussions sur la Sharia au Nigeria devraient être menées dans un esprit serein de dialogue entre les partisans de son application en matière pénale et ceux qui y sont opposés. La plupart des personnes rencontrées par les chargés de mission, principalement celles issues de la société civile, ont mis en exergue le besoin de promouvoir entre les deux camps un dialogue calme et responsable en se référant de façon effective à l’universalité des normes internationales de protection des droits de l’Homme et aux principes démocratiques.

2. Dans la mesure où la Sharia régit les relations entre les personnes qui appartiennent aux communautés musulmanes, elle pourrait être appréhendée comme une des "lois coutumières" du Nigeria. La possibilité pour chaque individu et communauté de choisir son système juridique de référence doit nécessairement s’exercer dans le respect des disposition de la Constitution nigériane et des normes universelles des instruments internationaux de protection des droits de l’Homme.

3. Depuis l’application de la Sharia en matière pénale, certaines décisions judiciaires ont porté condamnation à la peine de mort par lapidation et à d’autres châtiments corporels (Hudud) : l’amputation de membres et la flagellation. La FIDH dénonce le prononcé et l’application de ces peines qui violent les instruments internationaux de protection des droits de l’Homme, y compris la Charte africaine des droits de l’Homme et des Peuples, mais aussi la Constitution nigériane.

4. La FIDH accueille favorablement l’engagement pris par le gouvernement de l’Etat de Kaduna par la voix de son Vice-Gouverneur, d’interdire toute condamnation à des peines se référant au Hudud. La FIDH appelle la communauté nationale et internationale à contrôler le respect des engagements pris par l’Etat de Kaduna.

5. La FIDH condamne tout particulièrement l’application de la Sharia en matière pénale sur les non musulmans vivant dans les Etats du Nord concernés. La peur et l’incertitude ont poussé certaines personnes à émigrer vers d’autres Etats. Des entrepreneurs ont été contraints de fermer leur commerce. Les femmes ont été particulièrement visées par une discrimination, notamment dans les transports publics et le logement s’agissant des femmes seules.

6. La FIDH recommande une formation aux droits de l’Homme pour les présidents des juridictions de la Sharia, particulièrement pour les premiers degrés de juridiction.

7. La FIDH recommande la mise en place d’enquêtes de terrain et d’une réflexion au sein de la communauté internationale sur les conséquences de l’application de la Sharia au Nigeria. Elle recommande en particulier à la Rapporteure spéciale des Nations unies sur les violences contre les femmes et à la Rapporteure spéciale de la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples sur les Droits de la Femme en Afrique de se rendre au Nigeria.

8. La FIDH appelle par ailleurs les autorités nigérianes à donner une réponse positive à la demande de visiter le Nigeria formulée par le Rapporteur spécial des Nations unies sur la liberté de religion.

Sur la Cour pénale internationale

1 La FIDH salue la ratification le 27 septembre 2001 par le Nigeria du Statut de la CPI.
2 Considérant l’obligation faite par la Constitution nigériane d’intégrer en droit interne les traités internationaux pour permettre leur application effective, la FIDH demande à la Présidence et au Parlement d’engager conjointement la procédure d’adaptation dans le droit pénal nigérian du Statut de la CPI.
3 La FIDH encourage la Coalition nigériane pour la CPI récemment créée ainsi que la société civile à participer aux débats législatifs sur la CPI et à sensibiliser le gouvernement et l’opinion publique sur l’importance de la CPI et de l’adaptation de son Statut en droit interne.
4 La CPI est l’un des instruments majeurs de la lutte contre l’impunité des crimes les plus graves. Au Nigeria, la Commission d’Enquête sur les Violations des Droits de l’Homme (le Panel Oputa) qui s’intéresse au problème de l’impunité a récemment achevé son mandat et rendu son rapport au Président de la République. La FIDH souhaite vivement que ce rapport soit intégralement rendu public ; cela pourrait permettre d’établir la responsabilité pénale des auteurs présumés de violations des droits de l’Homme.

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