Q&A sur l’audience de confirmation des charges contre Laurent Gbagbo

1/ Audience de confirmation des charges contre Laurent Gbagbo

 Pouquoi Laurent Gbagbo comparait-il devant la Cour pénale internationale ?

Le 23 novembre 2011, à la demande du Procureur de la CPI, la Chambre préliminaire III a émis un mandat d’arrêt dont les scellés ont été levés le 30 novembre 2011 à l’encontre de Laurent Gbagbo accusé de crimes contre l’humanité, commis en Côte d’Ivoire entre le 16 décembre 2010 et le 12 avril 2011.
Alors détenu à Korhogo dans le nord de la Côte d’Ivoire, Laurent Gbagbo a été transféré à La Haye le 30 novembre 2011.

 Quelles sont les charges contre Laurent Gbagbo ?

Laurent Gbagbo aurait engagé sa responsabilité pénale individuelle, en tant que coauteur indirect, pour quatre chefs de crimes contre l’humanité : meurtres, viols et autres violences sexuelles, actes de persécution et autres actes inhumains. Ils auraient été perpétrés dans le contexte des violences post-électorales survenues sur le territoire de la Côte d’Ivoire entre le 16 décembre 2010 et le 12 avril 2011.

 En tant qu’ancien chef d’Etat, Laurent Gbagbo bénéficie-t-il d’une immunité ?

Non. Devant la CPI, nul n’est à l’abri de poursuites en raison de ses fonctions actuelles ou de celles qu’il occupait lorsque les crimes ont été commis. Les qualités de chef d’État ou de gouvernement, de ministre ou de membre d’un parlement n’exonèrent en aucun cas de la responsabilité pénale devant la CPI. Les immunités ne sont pas opposables à cette juridiction pénale internationale.

Dans certaines circonstances, une personne exerçant une autorité peut même être tenue responsable de crimes commis par les personnes agissant sous son commandement ou sous son autorité.

De même, l’amnistie n’est pas opposable devant la CPI. Aucune amnistie ne peut empêcher la Cour d’exercer sa compétence.

 Quel est l’objectif de l’audience de confirmation des charges ? S’agit-il du procès ?

Non. L’audience de confirmation des charges est une étape précédant et nécessaire à un possible procès. Selon le droit applicable par la CPI, l’audience de confirmation des charges doit déterminer s’il y a des « motifs substantiels et suffisants de croire » que le suspect a commis les crimes qui lui sont imputés.

Si la Chambre préliminaire décide de confirmer tout ou partie des charges, elle renverra l’affaire devant une Chambre de première instance, laquelle sera chargée de conduire la phase suivante de la procédure, à savoir le procès lui-même. Dans le cas contraire, Laurent Gbagbo sera relâché.

 Pourquoi Laurent Gbagbo a-t-il été maintenu en détention, à La Haye, avant l’audience de confirmation des charges ?

La Chambre a conclu le 13 juillet 2012 et confirmé le 18 janvier 2013 que l’arrestation et la détention du suspect était nécessaire afin de garantir qu’il comparaîtra, qu’il n’usera pas de son pouvoir ou de ses moyens financiers pour faire obstacle à l’enquête ou à la procédure devant la Cour, qu’il n’en compromettra pas le déroulement, ainsi que pour empêcher la commission d’autres crimes.

 Les victimes peuvent-elles participer à l’audience de confirmation des charges ? Comment seront-elles représentées ?

Oui, les victimes peuvent participer aux procédures devant la CPI. Il s’agit d’une innovation majeure et historique du Statut de la CPI, puisqu’il reconnaît pour la première fois aux victimes des droits qui ne leur avaient jamais encore été accordés devant une juridiction pénale internationale. Ainsi les victimes des faits poursuivis peuvent participer à cette audience par le biais de leurs représentants légaux (c’est-à-dire leurs conseils ).

Cette participation volontaire permet aux victimes d’exprimer une opinion indépendante de celle des parties (Procureur et Défense) et leur donne l’opportunité de présenter leurs vues et préoccupations propres. Lorsque la Cour l’estime approprié, les victimes peuvent exposer directement aux juges leurs points de vue

Dans l’affaire le Procureur contre Laurent Gbagbo, les victimes sont représentées de manière collective. Pour la première à ce stade de la procédure, les juges ont décidé que les victimes seraient représentées par le Bureau du conseil public des victimes (BCPV) et non pas un conseil externe. Ce bureau, bien qu’organe de la CPI et composé de fonctionnaires de la Cour, est indépendant dans son fonctionnement.

Aujourd’hui, la Chambre préliminaire I a reconnu à 139 personnes la qualité de victime autorisées à participer à cette audience.

 Quels éléments les juges prennent en compte pour déterminer si les charges peuvent être confirmées ?

À l’audience, le Procureur étaye chacune des charges avec des éléments de preuve suffisants pour établir l’existence de motifs substantiels de croire que la personne a commis le crime qui lui est imputé. Il peut se fonder sur des éléments de preuve sous forme de documents, faire comparaître des témoins.

La défense de Laurent Gbagbo pourra :
a) Contester les charges ;
b) Contester les éléments de preuve produits par le Procureur ; et
c) Présenter des éléments de preuve.

À l’issue de l’audience, la Chambre préliminaire détermine s’il existe des preuves suffisantes donnant des motifs substantiels de croire que la personne a commis chacun des crimes qui lui sont imputés.

2/ La CPI et la Côte d’Ivoire

 Qu’est-ce qui fonde la compétence de la CPI en Côte d’Ivoire ?

La Côte d’Ivoire n’est pas un État Partie au Statut de Rome portant création de la Cour pénale internationale. Toutefois, en application de l’article 12.3 du Statut de la CPI, un Etat non partie peut décider de reconnaître la compétence de la Cour. C’est ainsi que la Côte d’Ivoire, dirigée alors par Laurent Gbagbo avait reconnu la compétence de la Cour le 18 avril 2003. Le Président Ouattara a réitéré cette déclaration de reconnaissance le 14 décembre 2010 et le 3 mai 2011

Le Procureur a procédé à un examen préliminaire de la situation dés la première déclaration, sans y donner suite.

Suite à la réitération de l’acceptation de la compétence de la Cour, le Bureau a conclu que les critères requis pour l’ouverture d’une enquête étaient réunis, à savoir que des crimes graves qui relèvent de la compétence de la CPI avaient été commis, qu’à la date de l’analyse préliminaire (début 2011) la Côte d’Ivoire n’enquêtait pas sur les crimes commis sur son territoire, ni ne poursuivait les auteurs de ces crimes devant des juridictions nationales et qu’une enquête de la part de la CPI allait dans l’intérêt de la justice. Il a alors présenté, le 23 juin 2011, une demande d’autorisation d’ouvrir une enquête de sa propre initiative (proprio motu).

La Chambre préliminaire III a autorisé le 3 octobre 2011 le Procureur à enquêter sur des crimes qui auraient été commis en Côte d’Ivoire depuis le 28 novembre 2010 (la date du 2ème tour de élection présidentielle qui a abouti à une grave crise dite crise post-électorale qui a fait officiellement 3000 morts), ainsi que sur les crimes susceptibles d’y être commis à l’avenir dans le cadre de la même situation. Le 22 février 2012, la Chambre préliminaire III a élargi cette autorisation d’enquêter sur les crimes commis entre le 19 septembre 2002 (date du déclenchement du conflit armé qui a divisé le pays en deux zones et dont la résolution a donné lieu à l’organisation d’un 2ème tour du scrutin présidentiel le 28 novembre 2010) et le 28 novembre 2010.

 Sur quels crimes la CPI à compétence en Côte d’Ivoire ?

À l’issue du second tour de l’élection présidentielle du 28 novembre 2010, Alassane Ouattara est reconnu vainqueur des élections par la commission électorale indépendante (CEI) et certifié par le Représentant Spécial du secrétaire général des Nations Unies. Mais Laurent Gbagbo et ses partisans contestent les résultats et la Cour constitutionnelle déclare M. Gbagbo vainqueur. S’ensuivent d’importants combats entre les partisans des deux camps, une répression de la part des autorités en place et des miliciens pro-Gbgabo et enfin une offensive des Forces Républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI) constituées par Alassane Ouattara dans le but de renverser Laurent Gbagbo. Lors de cette période de 4 mois (28 novembre 2010 - 11 avril 2011), des crimes internationaux, constitutifs de crimes contre l’humanité ont été commis, notamment à Abidjan (autour de l’hôtel du Golf, à Yopougon, Abobo, etc) et dans l’ouest du pays (Duékoué, Guiglo, etc).

Mais le champ de la compétence de la Cour concerne également, selon les juges, les faits commis dès 2002. En effet, le 19 septembre 2002, une tentative de coup d’Etat contre le régime de Laurent Gbagbo échoue. Elle se transformera en une rébellion armée qui occupera les principale villes du nord, de l’ouest et du centre du pays . Cette rébellion des Forces nouvelles, dirigée par Guillaume Soro, était composée en partie d’anciens membres de l’armée. Selon le bureau du Procureur de la CPI, il apparaît que des meurtres, des viols et autres formes de violences sexuelles y compris l’esclavage (utilisés comme « arme de guerre »), des recrutements d’enfants soldats, des déplacements forcés et des attaques illégales ont été commis par les forces gouvernementales et par les forces rebelles au cours des mois suivant la tentative de coup d’État du 19 septembre 2002. C’est dans ce contexte que le président Laurent Gbagbo avait décidé d’accepter une première fois la compétence de la CPI, le 18 avril 2003. Le Bureau du procureur n’avait jamais pu obtenir les autorisations nécessaires pour mener des missions sur le territoire ivoirien. Il n’a jamais donné suite à cette première déclaration de compétence.

 La CPI poursuit-elle d’autres suspects accusés de crimes en Côte d’Ivoire ?

Oui, Au terme du mandat d’arrêt, délivré le 29 février 2012 par la Chambre préliminaire III, mais dont les scellés n’ont été levés que le 22 novembre 2012, Simone Gbagbo, l’épouse de l’ancien président ivoirien Laurent Gbagbo, est accusée de « crimes contre l’humanité, constitués de meurtres, de viols et d’autres formes de violences sexuelles, d’actes de persécution et d’autres actes inhumains, commis par les Forces de défense et de sécurité ivoiriennes appuyées par des milices de jeunes et des mercenaires loyaux à Laurent Gbagbo, sur le territoire de la Côte d’Ivoire entre le 16 décembre 2010 et le 12 avril 2011 ». Le mandat d’arrêt émis contre Simone Gbagbo n’a toujours pas été exécuté par les autorités ivoiriennes. Elle n’a dont pas été transférée au siège de la Cour à la Haye. Elle est en détention en Côte d’Ivoire.

Pourquoi le Procureur de la CPI n’a-t-il pas émis de mandat d’arrêt visant d’autres parties au conflit, et notamment à l’encontre du clan Ouattara (actuel président de la République de Côte d’Ivoire) ? L’enquête du Bureau du Procureur de la CPI est-elle aujourd’hui terminée ?

Le mandat de la CPI est d’enquêter sur l’ensemble des crimes commis par les deux camps en Côte d’Ivoire depuis le 19 septembre 2002. Le Bureau du Procureur a déclaré a plusieurs reprises que toutes les parties allaient être soumises à ses enquêtes en Côte d’Ivoire. Lorsqu’elle s’est rendue en Côte d’Ivoire, la Procureure a ainsi dit que son bureau allait enquêter sur tous les crimes quels que soient leurs auteurs : « L’enquête ne fait que commencer, a-t-elle dit. La première inculpation concerne l’ancien président Laurent Gbagbo, mais ce n’est pas terminé. Si notre enquête montre que l’autre camp a également commis des crimes, bien entendu, nous agirons en conséquence. »

L’enquête n’étant pas terminé, d’autres responsables des crimes les plus graves pourront être poursuivis à la CPI.

La FIDH, la LIDHO et le MIDH regrettent ce séquençage des poursuites et continuent d’insister pour que la Cour poursuive les plus hauts responsables de toutes les parties au conflit.

 Toutes les enquêtes ouvertes devant la CPI concernent le continent africain. Est-ce que la CPI est une Cour pour juger l’Afrique ?

Non. La CPI est une cour indépendante à vocation universelle ; ses décisions se fondent sur des critères juridiques et sont délivrées par des juges indépendants et impartiaux, conformément aux dispositions de son traité fondateur, le Statut de Rome, et d’autres textes juridiques régissant ses travaux.

Ainsi Fatou Bensouda, la Procureure de la CPI a affirmé : « Je ne suis pas d’accord avec cette idée selon laquelle la CPI cible les dirigeants africains. Nous ciblons les auteurs de crimes. Ce sont au contraire les gouvernants africains qui prennent l’initiative de demander à la justice internationale d’intervenir. Dans nos trois premiers dossiers, en Ouganda, en RDC et en Centrafrique, ce sont les dirigeants d’Afrique qui ont invité la CPI à enquêter et à engager des poursuites [ndlr, la situation au Mali a été également référée à la CPI par le gouvernement malien]. Dans le cas de la Libye et du Soudan, le Conseil de sécurité de l’ONU a saisi la CPI et les Etats africains qui siègent au Conseil (Nigeria, Afrique du Sud, Gabon, ndlr) ont voté cette décision. En Côte d’Ivoire, c’est le chef de l’Etat (Alassane Ouattara, ndlr) qui a saisi la CPI. Il faut être clair. La CPI ne pourchasse pas les Africains. La CPI est aux côtés des victimes africaines. »

Les Etats africains ont largement contribué aux négociations entourant la création de la Cour. Ils voyaient dans la CPI un moyen de prévenir les crimes et réprimer leurs auteurs trop largement impunis. 43 Etats africains sont actuellement signataires du Statut de Rome, dont 33 l’ont ratifié et sont donc parties au Statut, faisant ainsi de l’Afrique la région la plus largement représentée parmi les membres de la Cour. La confiance et le soutien ne venaient pas seulement des gouvernements mais aussi, et c’est fondamental, des organisations de la société civile de ces pays. Ce sont d’ailleurs les représentants de RDC, Ouganda, RCA, Côte d’Ivoire et Mali qui ont saisi le procureur de la CPI, demandant son intervention.

Parallèlement, le Bureau de la Procureure examine de façon préliminaire des situations localisées sur quatre continents : l’Afghanistan, la Colombie, la République de Corée, la Géorgie, la Guinée, le Honduras et le Nigéria.

La FIDH avec ses organisations membres travaillent devant les juridictions nationales pour qu’elles jugent les crimes internationaux commis dans leur pays, et auprès du Bureau du Procureur pour que, en cas d’incapacité ou de manque de volonté des juridictions nationale, celui-ci ouvre des enquêtes concernant les crimes commis sur différents continents.

3/ Les procédures en cours en Côte d’Ivoire

 Y a-t-il des procédures en cours en Côte d’Ivoire sur les crimes commis lors des violences post-électorales de 2010-2011 ?

En application du principe de complémentarité, la CPI n’est compétente que si les juridictions nationales n’ont ni la capacité ni la volonté de mener véritablement des enquêtes et des poursuites. D’autre part, la CPI n’a pas vocation à juger tous les auteurs de crimes, mais se concentre sur les plus hauts responsables.

C’est en ce sens que les Présidents ivoiriens Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara ont successivement reconnus la compétence de la Cour, estimant que les tribunaux ivoiriens ne pouvaient poursuivre les auteurs des crimes.

Puis, une Cellule Spéciale d’Enquête a été créée en juin 2011 afin de faire la lumière sur les atrocités et différents crimes perpétrés au lendemain de la proclamation des résultats du second tour du scrutin présidentiel du 28 Novembre 2010.

Plusieurs informations judiciaires ont ainsi été ouvertes et confiées à des juges d’instruction indépendants. Les avocats membres de la FIDH, de la LIDHO et du MIDH assurent la représentation légale de 75 victimes – des deux camps - qui se sont constituées partie civile dans les différentes instructions en cours

En l’état, la FIDH, la MIDH et la LIDHO regrettent que ces procédures se concentrent encore uniquement sur une partie des acteurs du conflit, à savoir les partisans de l’ancien président Laurent Gbagbo.

La FIDH, le MIDH et la LIDHO espèrent par ailleurs que l’ouverture récente d’une instruction spécifique suite au rapport de la commission nationale d’enquête « sur les violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire survenues pendant la période du 31 octobre 2010 au 15 mai 2011 » puisse permettre de donner une vision globale et équilibrée des responsabilités dans les infractions commises pendant la crise.

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